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18 décembre 2015

Entretien avec Éric Lombard

Le directeur général de Generali France répond aux questions du secteur sur la mise en place de Solvabilité II

« Ce n’est pas parce que le modèle est sophistiqué qu’il est juste »

 

l’actuariel : Qu’implique pour Generali la mise en application de Solvabilité II à partir de janvier 2016  ?

Éric Lombard : Nous avons d’abord des enjeux de calendrier avec l’approbation de notre modèle interne IARD cette année et Vie l’année prochaine. Le modèle IARD devrait être approuvé au cours du premier semestre 2016, avant la publication de nos comptes 2015.
Solvabilité II a abouti à une modification radicale des calculs de solvabilité, qui peuvent avoir un impact important sur la mesure de la rentabilité. Il faut aussi veiller à ce que ce nouvel outil soit bien compris dans l’entreprise. Les modèles sont importants mais attention à ne pas perdre de vue ce qu’est notre activité : il est essentiel de conserver une compréhension concrète de nos risques. Ce n’est pas parce que le modèle est sophistiqué qu’il est juste. Ce n’est qu’une méthode de calcul du capital. Par ailleurs, Solvabilité II a un biais structurel qui est sa vision à court terme. Elle défavorise les risques longs et la détention d’actifs longs, comme les actions. Cela étant, je considère que cette directive a des conséquences positives. Elle nous conduit notamment à travailler sur la qualité des données, nous fait mieux connaître nos risques et nous oblige à avoir des procédures écrites et validées.

l’actuariel : Que pensez-vous de la mise en place et de l’identification des quatre fonctions clés ?

É.L. : En tant que dirigeant, je trouve cela très précieux. J’avais expérimenté ces principes dans le monde bancaire, et ces fonctions étaient déjà bien identifiées chez Generali mais la mise en place de la directive a été l’occasion de mieux les documenter et de mieux les préciser.
Je suis, avec l’équipe de management,  garant de la solvabilité de la compagnie. Le fait d’avoir des fonctions indépendantes dont le rôle est de faire le pendant des fonctions d’investissement, de développement ou des fonctions financières est un élément très  protecteur. Dans l’entreprise, il faut des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Solvabilité II organise de façon pertinente la confrontation des points de vue.

l’actuariel : Comment gérer une compagnie dans une période de taux bas ?

É.L. : Nous sommes dans un nouveau cycle économique depuis plusieurs années avec des éléments durables et d’autres plus conjoncturels. Les États-Unis, pour éviter de tomber en déflation, ont entamé un quantitative easing massif. Une politique similaire a été mise en place plus tardivement en Europe. Cela se traduit par des taux d’intérêt à court terme négatifs et des taux à long terme très bas. À cela s’ajoute un élément qui devient structurel : une croissance lente du fait du ralentissement de la productivité et de la démographie.  Nous sommes probablement dans une ère de croissance faible et d’inflation faible. Et si l’on prend comme principe que les taux à long terme représentent l’anticipation de la croissance et de l’inflation, les taux vont rester bas. Nous devons donc nous organiser pour travailler dans un tel environnement.

l’actuariel : Comment vous organisez-vous dans ce contexte ? 

É.L. : En IARD, la discipline de souscription devient encore plus importante ; dans le cycle précédent on pouvait compenser un ratio combiné dégradé par des actifs bien gérés. Ce n’est plus possible. Nos politiques de souscription doivent viser des ratios combinés inférieurs à 100. Ce n’est pas une révolution du modèle, c’est un changement de calibrage
En revanche, en épargne et en retraite, le changement est considérable et provoque de nombreuses conséquences. Il faut être d’une rigueur absolue sur les engagements au passif. Garantir des taux supérieurs à 0 % est risqué : 0 % est un taux très élevé lorsqu’une économie est proche de la déflation ! Pour l’activité de fonds général, nous avons des règles de souscription qui sont devenues beaucoup plus strictes afin d’aboutir à une stabilisation et même à une baisse des encours. Il est important de ne pas diluer trop vite le rendement de l’actif et de protéger les clients qui sont déjà souscripteurs de ce fonds. Le taux de réinvestissement des tombées, ou de la collecte nette, avoisine les 1,5-2 %. Et l’année dernière, le taux servi par le marché était à 2,5 % ! Donc toute nouvelle collecte détruit de la valeur. Il faut aller vers d’autres produits comme les unités de compte. La FFSA travaille avec les pouvoirs publics pour dynamiser l’euro-croissance, dont je suis un fervent partisan depuis sa conception. Il faut d’ailleurs proposer l’euro-croissance avec une garantie plus longue que les huit ans qui sont rituels : cela permettrait d’avoir une poche de diversification plus importante.

l’actuariel : Que pensez-vous de la volonté du ministre de l’Économie de développer des fonds de pension à la française ?

É.L. : Je considère que les fonds de pension à la française existent déjà, c’est l’assurance-vie avec 1 600 milliards d’euros d’encours. C’est la façon par laquelle les Français préparent leur retraite…
Ce qui me semble particulièrement important, c’est la décision qui sera prise sur les institutions de retraite et de prévoyance (IRP). Ces IRP, pendant une période transitoire qui va jusqu’en 2019, sont traités en Solvabilité I. Nous avons demandé à bénéficier de ce régime car, pour les passifs très longs, celui-ci est plus favorable que Solvabilité II même en modèle interne. Le ministre de l’Économie a bien compris que, si l’on veut que les assureurs continuent à financer les retraites complémentaires en France, ça ne se fera pas dans le cadre de Solvabilité II : il faut donc que cette possibilité transitoire devienne une option durable. Sinon des acteurs de pays où les fonds de pension existent déjà (et qui ne seront jamais dans Solvabilité II) vont proposer des produits de retraite et nous serons alors en position très défavorables vis-à-vis d’eux.

l’actuariel : Alors que la COP 21 vient de se terminer à Paris, comment se positionne Generali sur les sujets du climat ?

É.L. : Je suis soulagé que l’on ait pris conscience de la réalité de la situation. Car le vrai problème de la planète aujourd’hui, c’est le réchauffement climatique. Il y a un risque pour l’humanité. Les assureurs ont depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme. Chez Generali France, nous avons fondé une chaire sur la modélisation climatique. Nous avons également une équipe avec des climatologues, des géomaticiens... Depuis 2000, les coûts liés aux catastrophes naturelles ont augmenté, mais la tendance n’est pas linéaire. Nous avons différents leviers à notre disposition, à commencer par la prévention. Ainsi, en France, nous avons une initiative qui s’appelle Generali Performance Globale. Il s’agit d’amener les entreprises vers une logique de maîtrise des risques et d’amélioration de la performance environnementale. Nous leur proposons un audit à travers 60 critères, et les plus vertueuses d’entre elles se voient attribuer un label et des conditions commerciales avantageuses.
Par ailleurs, nous réduisons progressivement nos investissements dans les industries polluantes ou dangereuses. Si tous les assureurs agissent ainsi, ces entreprises verront augmenter le coût du capital, ce qui les poussera à faire différemment. Parallèlement, nous allons investir plus activement dans les énergies renouvelables. Le levier que nous avons en tant qu’investisseur est puissant et il faut que nous l’exercions de plus en plus. Nous devons orienter l’épargne dans la bonne direction.

l’actuariel : Quelle est votre stratégie par rapport au développement du digital et à l’arrivée de nouveaux acteurs ?

É.L. : C’est une opportunité extraordinaire pour nos métiers, qui ont incroyablement peu bougé au cours du XXe siècle car ils sont restés très techniques dans leur approche. Le digital a donné le pouvoir au client. C’est un levier de transformation énorme et une richesse dans le fonctionnement de l’entreprise qu’il faut savoir mettre en œuvre. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR) ont évidemment une immense force de frappe. Google pourrait faire de l’assurance, ils en ont fait puis ils ont arrêté… Apple n’en fait pas. Le vrai risque pour nous est que ces entreprises captent l’essentiel de la valeur, comme elles l’ont fait dans d’autres industries, et que nous, assureurs, soyons réduits à être des centrales de risques. Ce danger existe mais il ne s’est pas encore réalisé. Nous sommes toujours dans la course pour que cette rupture nous profite. Il n’y a pas de raison que nous, assureurs, n’ayons pas avec nos clients une relation digitale ou de visu de même qualité que celle créée par un GAFA. On parle « d’uberisation » de la distribution mais, pour moi, l’uberisation, c’est d’abord la sanction de la mauvaise qualité des services. Autre cas, Kodak, qui n’a pas voulu se développer dans le digital alors qu’ils avaient la technologie. Ces exemples montrent qu’il faut aller de l’avant plutôt que de rester sur la défensive.   [traitement;requete;objet=article#ID=1145#TITLE=Éric Lombard : les dates clés]
Propos recueillis par Florence Puybareau