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21 septembre 2017

Entretien avec Florence Tondu-Mélique

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CEO Zurich France, Florence Tondu-Mélique répond aux questions de l'actuariel.

l’actuariel : Comment voyez-vous, avec votre expérience à l’étranger, les atouts et les faiblesses du marché français ?

Florence Tondu-Mélique : Permettez-moi de prendre cette question à contre-pied. À l’image de nos clients, le marché de l’assurance est aujourd’hui mondialisé. Même s’il a ses spécificités, on ne peut considérer le marché français comme cloisonné. Ainsi, le principal enjeu, en France comme ailleurs, est lié à la révolution technologique et à l’arrivée de nouveaux acteurs, avec des business models extrêmement innovants, qui nous obligent à repenser nos schémas.

l’actuariel : Vous évoquez volontiers un besoin de « disruption » dans le secteur. En quoi voulez-vous être « disruptive » ?

F. T.-M. : Il est un constat partagé par l’ensemble du secteur que l’assurance sera une des prochaines industries à être « disruptée ». Le digital, les objets connectés, l’intelligence artificielle et la robotique révolutionnent le cœur de notre métier. Les nouveaux entrants nous défient sur l’ensemble des maillons de la chaîne de valeur, en particulier dans la relation client où l’enjeu n’est pas tant la technologie que l’usage qui en est fait, et dans notre expertise technique grâce aux avancées en matière de collecte et de traitement de l’information.

l’actuariel : Avec l’intelligence artificielle et le big data notamment, quel type de nouveau business model se profile ?

F. T.-M. : Nous sommes les experts de la data, et ce depuis des siècles. Mais, quand on voit aujourd’hui que l’on produit en une journée autant de données que depuis la nuit des temps à 2003, cela nous amène à repenser nos modèles. Je songe en particulier à deux nouvelles technologies à exploiter : le Machine Learning et le Natural Language Processing qui peuvent nous permettre de réinventer les processus de souscription et de gestion, et la relation client. Le Machine Learning désigne la capacité qu’ont certains outils à apprendre et à développer des qualités prédictives. Sur la base de l’expérience, ils peuvent enrichir leurs propres algorithmes. Le « Natural Language Processing » s’illustre aujourd’hui par exemple avec les usages des « chatbots », des logiciels capables d’engager une conversation, que l’on pourrait imaginer utiliser dans la relation client, que ce soit dans la gestion des sinistres ou de la vie d’un contrat.

l’actuariel : Voyez-vous les fintechs et les assurtechs comme une menace ou une source d’inspiration ?

F. T.-M. : Il ne faut verser dans aucun excès et juste y voir une nécessité pour les acteurs traditionnels de s’adapter. Quand on est attaqué à la fois sur la science des risques et la relation client, le danger est de se retrouver dans le rôle d’un simple porteur de risques. Ces nouveaux entrants bénéficient d’investissements exponentiels et utilisent pleinement les opportunités que permettent les récentes innovations technologiques, leur donnant un avantage significatif avec des structures de coûts beaucoup plus légères que les acteurs traditionnels. Ils substituent par la machine des tâches répétitives encore manuelles ailleurs. Il y a là un enseignement pour nous, à savoir comment valoriser, avec notre capital humain, les tâches à forte valeur ajoutée, comme le jugement. Le défi est de replacer l’humain au cœur de ces transformations et de combiner l’homme et la machine de manière astucieuse à l’heure de l’intelligence augmentée. En matière d’offres, l’usage des data permet de proposer des solutions innovantes et beaucoup plus personnalisées, du « sur-mesure industrialisé », en quelque sorte.

l’actuariel : Cette disruption est-elle compatible avec l’« inflation réglementaire » qui, pour beaucoup, pèse sur le secteur ?

F. T.-M. : En France, l’ensemble des acteurs du secteur sont soumis à la même réglementation. Certains pays, notamment asiatiques et anglo-saxons, ont fait le choix de modèles à deux vitesses avec une réglementation allégée visant à favoriser les structures naissantes et légères. Cette différence de traitement n’existe pas en France. Les acteurs traditionnels comme nous bénéficient d’un avantage lié à leur expérience et à leurs ressources. Pour autant, cela n’est pas une barrière à l’innovation : même dans une profession extrêmement réglementée comme les VTC, la disruption s’est réalisée.

l’actuariel : Dans ce contexte général, qu’attendez-vous des actuaires ?

F. T.-M. : Il faut quand même rappeler que les actuaires ont été les premiers à coder le monde ! Ce sont des acteurs historiques de la data et leurs capacités prédictives demeurent une clé dans un monde qui a plus que jamais besoin de visionnaires. Pour moi, leur rôle est de continuer à utiliser cette puissance conceptuelle de façon prospective et de la mettre au service de l’innovation, en intégrant dans leurs considérations les nouvelles technologies et les risques émergents, pour faire évoluer encore plus cette profession vers l’avant et nous aider à construire ce futur.

l’actuariel : Quelle est votre vision du métier d’actuaire ? Est-elle différente ici de ce que vous avez-vu en Grande-Bretagne par exemple ?

F. T.-M. : Des maisons globalisées comme les nôtres ont des actuaires à Paris mais qui travaillent en étroite collaboration avec leurs collègues à travers l’Europe et le reste du monde. Les standards et les méthodes de travail sont aujourd’hui globaux. Partout, sur le terrain, l’innovation change aussi nos modes de fonctionnement, avec la nécessité de travailler au sein des organisations de façon plus collaborative et transverse.

l’actuariel : Vous faites votre « rentrée » chez Zurich. Quelles sont vos premières impressions quelques semaines après votre prise de fonction ?

F. T.-M. : Ce que je retiens de mes cent premiers jours, c’est le talent et la passion des équipes que j’ai trouvées ici, chez Zurich. Notre plus grand atout, c’est l’humain. Cela m’a amenée, dès mon arrivée, à m’entretenir avec l’ensemble des collaborateurs, de façon individuelle, pour connaître chacun et mesurer les attentes. J’ai découvert des gens talentueux et très attachés à la marque. J’ai aussi rencontré des clients et nos partenaires courtiers, dont j’ai entendu le très grand niveau d’exigence. J’ai mesuré l’aura de notre marque sur le marché et, logiquement, les attentes élevées de mes interlocuteurs.

l’actuariel : Le magazine Forbes a souligné vos excellents résultats chez vos employeurs précédents. Arrivez-vous chez Zurich avec une « recette » ou une méthode bien à vous ?

F. T.-M. : Une carrière est une succession d’expériences, de pages qui se tournent et de chapitres qui s’ouvrent. Je n’ai pas de méthode préconçue car chaque situation reste unique. En revanche, je crois à la vertu de la confiance. Elle est au cœur de notre métier et doit être au cœur de l’entreprise, de la relation avec les clients, avec les partenaires courtiers, et au cœur de la relation avec mes collaborateurs.

l’actuariel : Quels défis vous ont conduite à accepter ce nouveau poste chez Zurich ?

F. T.-M. : Personnellement, je me définis comme une bâtisseuse. Je me suis construite challenge après challenge et mon projet, ici, est un peu de réveiller une « belle endormie  ». Je crois que nous avons perdu, comme beaucoup d’autres, avec la crise financière, cette culture d’entrepreneur, innovant et conquérant, qui nous différenciait. Je veux renouer avec cet ADN, cet esprit pionnier et cette culture d’excellence. Zurich a toujours été en pointe de la compréhension des grands risques et audacieux dans les solutions proposées. En 1978, par exemple, le groupe innovait avec la première police d’assurance internationale pour accompagner ses clients sur l’ensemble de la planète. Récemment, nous avons été les premiers à proposer une offre environnementale globale, manifestement un enjeu clé du XXIe siècle. Quelque part, il s’agit de re-révéler nos forces !

l’actuariel : Concrètement, quelle sera votre méthode chez Zurich ?

F. T.-M. : Il y a deux métiers, que je veux mettre au cœur du dispositif et sur lesquels je souhaite investir, que sont la souscription et la gestion des sinistres. J’accorde une importance particulière à la gestion des sinistres car c’est à ce moment particulier que l’on réalise notre vocation et le sens noble de notre métier. Cela doit aussi être un moment de proximité avec nos clients et partenaires. Ensuite, dans le monde dans lequel nous vivons, il y a une autre nécessité pour nous de continuer d’avoir « un coup d’avance » en apportant des solutions à nos clients sur des risques complexes, avec une vraie capacité prospective. Pour cela, nous disposons d’un atout considérable en nos équipes d’ingénieurs prévention, capables de combiner cette vision avec une connaissance approfondie des risques de nos clients, y compris dans le domaine du cyber et de la sécurité informatique. Enfin, puisque nous parlons de confiance en nos équipes, l’humain sera au cœur de mon action. Cela nécessite à la fois de fidéliser et de faire grandir les talents en interne, mais aussi d’en attirer de nouveaux, et surtout de leur donner toute latitude pour leur permettre de s’exprimer.

l’actuariel : Vous allez recruter ?

F. T.-M. : Nous allons révéler les talents en interne, de nouveaux vont bientôt nous rejoindre, et d’autres sont encore à débusquer à l’extérieur. Nous recherchons les meilleurs profils dans tous les domaines. Nous restons fondamentalement des entrepreneurs, avec un esprit de pionnier et de conquérant. Nous devons gagner en confiance, en réactivité et en compétitivité dans un métier éminemment concurrentiel. Mais cette aventure doit être humaine et collective.

l’actuariel : Quand vous avez été distinguée par l’Institut Choiseul parmi les nouveaux leaders de l’économie française, vous avez souhaité que cette distinction soit un accélérateur de visibilité au service de sujets de société dans lesquels vous êtes engagée comme la diversité…

F. T.-M. : Il y a un sujet qui me tient à cœur. Il s’inscrit dans le cadre plus large de l’« inclusion » au service de l’innovation. Ce thème est particulièrement pertinent dans un métier qui repose avant toute chose sur le capital humain. Or l’innovation naît de la confrontation d’idées et d’expériences, de la diversité sous toutes ses formes, du plus visible, la diversité physique, au moins perceptible, la diversité cognitive. L’innovation, premier moteur de croissance, nécessite d’attirer une diversité de profils.

l’actuariel : Un mot d’actualité pour finir puisque vous connaissez bien le Royaume-Uni. Comment le Brexit peut-il impacter le secteur selon vous ?

F. T.-M. : Sur ce propos, il faut rester modeste. Il serait présomptueux, à ce stade, de présager de l’issue des négociations. Quand on cherche à deviner, on se trompe souvent ! Bien sûr, c’est un sujet qui attire toute notre attention. Nous avons un comité de suivi du Brexit qui a pour objet d’étudier les différents scénarios probables et d’en évaluer les impacts, qui ne doivent pas être sous-estimés. De la même façon, il est encore trop tôt pour commenter les implications pour le secteur alors que 8 000 textes doivent être étudiés au Parlement européen. Néanmoins, le Royaume-Uni est un marché clé pour nous et il le restera. De la même façon, nous accompagnons nos clients à l’international et nous continuerons de le faire. Ce n’est pas la première évolution politique à laquelle nous sommes confrontés… 

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