Retour au numéro
Partager sur :
Vue 247 fois
03 juin 2014

Entretien avec Stéphane Pallez

Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de la CCR, répond aux interrogations du secteur

« 2014 pourrait être une année coûteuse en termes d’inondations »

Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de la CCR

 

l'actuariel : Pourquoi avoir déclaré que les résultats 2013 de la CCR étaient très satisfaisants, malgré une baisse de 13 % du résultat net à 210 millions d’euros ?

Stéphane Pallez : Oui, historiquement, ils le sont. Ils s’inscrivent dans un contexte général où les rendements financiers sont très bas, et nous n’avons bénéficié d’aucun élément exceptionnel ni réalisé des plus-values à un niveau exceptionnel comme ce fut le cas en 2012. L’ensemble de nos activités est rentable, qu’il s’agisse de notre activité de marché ou de réassurance publique. Je rappelle que notre objectif ne peut se réduire à augmenter les résultats tous les ans car nous sommes un réassureur détenu par l’État avec des missions d’intérêt général de long terme pour la plus grande partie de notre activité.

l'actuariel : Est-ce à dire que 2013 fut une année de faible sinistralité ?

S.P. : Non, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de sinistralité. Pour la France, 2013 fut une année plus chargée que 2012 en catastrophes naturelles, mais la sinistralité n’a pas été extrême. Nous avons eu des événements fréquents, intenses sur le plan local, mais le coût global reste bien inférieur à celui d’années comme Xynthia. Sur notre portefeuille de réassurance de marché, 2013 a été marquée par les inondations en Allemagne ainsi qu’au Canada où elles ont pris un caractère historique. Nous avons pris notre part de ces catastrophes mais celle-ci a été plus faible que notre part de marché. Cela tient à notre politique de risque qui est prudente et que nous avons su bien gérer. Ce sont des marchés sur lesquels nous restons très présents, en étant attentifs à nos clients et à la qualité de la souscription.

l'actuariel : Et comment s’annonce 2014 en France ?

S.P. : Le coût des inondations que nous avons eues en début d’année 2014, notamment sur la façade atlantique, pourrait s’approcher de la moyenne des coûts annuels marché des dix dernières années, soit environ 500 millions d’euros.

Ces événements se sont produits très tôt dans l’année et il est rare que nous n’ayons pas de périodes d’inondations en juin et en octobre-novembre. A priori 2014 pourrait donc être une année coûteuse en termes d’inondations.

l'actuariel : La CCR opère dans un dispositif mixte. Quelle est la pérennité de ce système ?

S.P. : Ce dispositif est d’abord le choix de l’État, actionnaire à 100 % de la CCR, d’avoir un réassureur qui exerce les deux activités afin de mieux remplir sa mission. L’activité principale étant celle de réassureur public. L’activité de marché permet à la CCR d’être un réassureur pleinement « dans le marché ». Pour ma part, j’adhère à ce choix. Pour que le système fonctionne bien, il faut du professionnalisme et de la clarté. Notre activité exercée dans le cadre de la réassurance publique est régie par des textes de loi, des conventions et elle est gérée dans une comptabilité analytique séparée. De même, les relations que nous entretenons avec nos clients dans les deux activités sont séparées. Nous n’avons pas les mêmes équipes et nous ne sommes pas dans le même type de gestion. Dans le cadre public, nos obligations sont différentes de celles d’un réassureur privé. Par exemple, en réassurance des catastrophes naturelles, nous n’avons pas le choix de nos clients : tous les assureurs exerçant en France peuvent venir se réassurer à la CCR. Quant à l’activité de marché, elle est minoritaire et elle est strictement encadrée. C’est-à-dire qu’elle doit être rentable et maîtrisée.

l'actuariel : Où en êtes-vous par rapport à Solvabilité II ?

S.P. : Nous nous y préparons depuis longtemps et nous sommes donc en phase avec le calendrier. Ce qui est positif maintenant, c’est d’avoir une échéance précise dans la mise en œuvre de ce projet. Nous avons cependant anticipé Solvabilité II dans le mode de pilotage de l’entreprise. Depuis deux ans nous présentons au conseil d’administration ce que nous devrons faire dans le cadre de l’ORSA, c’est-à-dire la mesure de notre appétence au risque et une allocation de notre budget de risques par activité. Solvabilité II est donc déjà un instrument de pilotage opérationnel et de gouvernance de l’entreprise et à ce titre, mobilise beaucoup de ressources. Par ailleurs, comme nous sommes gestionnaires de grands risques pour l’État, nous sommes investis dans la modélisation de ces risques et nous sommes donc assez naturellement dans une démarche « Solvabilité II ».

l'actuariel : Un rapport publié dans la revue Nature Climate Change estime que le coût des inondations en Europe sera multiplié par plus de cinq par rapport à aujourd’hui. Comment la CCR se prépare-t-elle à ce genre d’aléas ?

S.P. : En France, nous ne pouvons pas faire complètement le lien entre changement climatique et accroissement des coûts sur les événements passés. Mais il y a aujourd’hui des indices ou des faits qui peuvent constituer des faisceaux de présomptions de ce lien. Ce qui est certain c’est que nous assistons à l’élévation du niveau des océans, qui a un impact sur les bordures côtières et la France est particulièrement concernée. Nous devons impérativement projeter les scénarios actuels en matière de changement climatique pour déterminer l’impact potentiel sur les risques et le coût des catastrophes naturelles afin de nous préparer pour éviter les scénarios les plus dramatiques. Nous avons commencé à le faire en matière de sécheresse avec Météo France en nous appuyant sur les scénarios du Giec. Ce sont des projections à horizon 2050 car, dans le domaine du climat, les effets sont très longs et nous devons agir maintenant si nous voulons influer sur des résultats qui se produiront dans cinquante ou cent ans. De ces scénarios, nous avons déduit que l’épisode caniculaire de 2003 pourrait se produire une année sur deux au-delà de 2050 ou une année sur quatre dans le meilleur des cas. Nous avons le temps de nous y préparer mais oui, le changement climatique peut avoir un impact très significatif tant pour l’économie que pour la société française. Et nous allons continuer à travailler sur ce type de scénarios avec nos partenaires scientifiques.

l'actuariel : Est-ce un discours que les pouvoirs publics et les assureurs entendent ?

S.P. : Globalement, il y a une prise de conscience parmi les décideurs. Je trouve significatif que le dirigeant d’une de nos plus grandes compagnies, Henri de Castries, souligne que les deux risques fondamentaux de long terme vus par Axa sont le risque numérique et le changement climatique. La difficulté est ensuite de définir le niveau d'action et les coûts immédiats que nous sommes prêts à supporter pour modifier des effets dépendants de beaucoup de variables et dans des horizons longs. C'est un problème d'arbitrage court terme/long terme et de capacité de mise en œuvre de décisions qui peuvent avoir des effets économiques à court terme, ce qui n'est pas facile.

l'actuariel : Pour vos modèles, comment s'assurer de l'antériorité des données ?

S.P. : Pour cela, nous travaillons notamment avec des historiens. Nous avons commencé à le faire sur les inondations depuis plusieurs années. Nous retrouvons des données sur des périodes longues qui permettent de reconstituer des cycles longs. Nous essayons de récupérer des données historiques et géologiques pertinentes afin d'anticiper la survenance d'évènement qui peuvent avoir des périodes de retour très longues. Nous parvenons à reconstituer certains évènements majeurs. Par exemple, pour la crue centennale de la Seine de 1910, nous avons participé à l’étude menée par l'OCDE et publiée en début d'année. 

l'actuariel : Quels en sont les principaux enseignements ?

S.P. : En un peu plus d'un siècle,  il y a eu certes des travaux de protection notamment avec la construction de bassins de rétention mais ce qui a évolué en parallèle, c'est la concentration des centres de décision alimentés par des systèmes électriques dont dépendent les systèmes d’information. Cela nous expose à des risques qui n'ont rien à voir avec ceux de 1910. Selon l’étude OCDE, l'impact financier d'une telle crue aujourd'hui entraînerait 3 à 30 milliards d'euros de dommages directs, une réduction de 0,1% à 3% du PIB sur cinq ans et la perte de 400 000 emplois dans certains scénarios. Le fait que Paris soit la capitale économique et politique nous expose à une plus grande vulnérabilité. Je pense que de manière générale, nous sous-estimons la vulnérabilité de nos réseaux de communication et notre dépendance à ces réseaux. L'étude de l'OCDE montre ces risques et fait des préconisations sur la gestion de crise. Il faut être réaliste, savoir se préparer à ce type d'évènement sans pour autant avoir une approche « catastrophiste ».

l'actuariel : Qu'est-ce qui fait principalement augmenter les coûts et comment les assureurs peuvent-ils s'y préparer ?

S.P. : Les coûts augmentent du fait de la concentration de l’activité dans les zones sensibles. Le littoral côtier et les bordures fluviales aux États-Unis ou en Asie concentrent population et valeurs assurées. On peut le regretter mais c'est un fait qui doit relancer la réflexion sur la protection de ces zones. À New York, depuis la tempête Sandy, on se demande s'il ne faudrait pas remettre à l'état sauvage des zones de marais qui faisaient tampon face à la montée des eaux. Pour les grandes métropoles, il faut évaluer quel est le type d'investissement qui peut réduire la vulnérabilité de ces zones par rapport aux coûts potentiels exposés. Dans les pays émergents, les coûts économiques et humains sont très importants mais les coûts assurés sont relativement faibles car le taux de pénétration de l’assurance est faible.

Quoi qu'il en soit, les assureurs doivent s’inquiéter que les dommages assurés soient très inférieurs aux coûts économiques comme ce fut le cas l'année dernière en Allemagne avec les inondations. Car cela finit par peser sur les finances publiques si un partage du risque entre la sphère publique et le marché n’est pas pré-organisé. En Allemagne, l'État et les Länder ont payé 8 milliards d'euros parce que seuls 30 % des allemands ont une couverture inondation. Ce n'est pas satisfaisant de se dire que plane un risque de cette importance sur les États, surtout si les finances publiques sont sous tension. 

l'actuariel : Et sur le risque de terrorisme, qu’en est-il ?

S.P. : Le schéma de couverture entre l’État, les assureurs et la CCR a été renégocié en 2012 pour cinq ans. Cela donne une bonne visibilité au système. Le système de couverture des risques fonctionne bien. Cependant, dans les études réalisées par les courtiers, nous notons que le risque terrorisme est assez sous-estimé. Sans doute parce que ce sont des événements sur lesquels il n’est pas facile de se projeter. Néanmoins ce risque n’a pas diminué. Il est présent sous des formes diverses. Sous des formes artisanales (la commémoration des attentats du Marathon de Boston est là pour nous le rappeler) mais aussi plus sophistiquées, avec des moyens technologiques et financiers puissants. Il ne faut pas baisser la garde ni sur le plan de l’assurance ni sur le plan de la prévention. S’il est impossible d’évaluer la probabilité d’un tel risque, nous pouvons faire des scénarios dans lesquels nous nous demandons quel pourrait être l’impact d’un tel événement à tel endroit compte tenu d’un certain nombre d’éléments comme les phénomènes météorologiques.

l'actuariel : Y a-t-il de nouveaux risques sur lesquels la CCR est assez vigilante ?

S.P. : Pour le moment, il n’y a pas forcément de risques nouveaux mais plutôt des risques qui prennent une importance croissante et dont nous commençons à réaliser l’impact potentiel sur l’économie et les entreprises. Parmi ceux-là, le cyber-risque, qui revêt des formes très variées. Et qui, compte tenu du caractère critique des systèmes d’information dans nos sociétés et de la sensibilité de ces systèmes, peut avoir des conséquences systémiques majeures. C’est un risque encore mal appréhendé par les assureurs même s’il commence à être mieux couvert. Il n’y a pas encore sur ce point de bon équilibre global entre la demande et l’offre, c’est-à-dire une demande des entreprises qui accepteraient de payer une prime pour couvrir ce risque et une offre des assureurs pour proposer des produits adaptés et gérables pour eux.

Propos recueillis par Florence Puybareau

[traitement;requete;objet=article#ID=779#TITLE=Dates clés Stéphane Pallez]