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03 juin 2014

Qu’attendre de l’euro-croissance ?

L’euro-croissance ne constitue pas une nouvelle déclinaison de l’assurance-vie, entre fonds en euros et contrats en unités de compte, mais bien un nouveau paradigme…

L’euro-croissance ne constitue pas une nouvelle déclinaison de l’assurance-vie, entre fonds en euros et contrats en unités de compte, mais bien un nouveau paradigme, suscitant en cela quelques interrogations. En effet, si le nouveau dispositif semble apporter certaines alternatives à l’assureur comme à l’assuré, il n’en est pas moins complexe…

 

En avril 2013, les députés Karine Berger et Dominique Lefebvre remettaient au ministère de l’Économie et des Finances, un rapport intitulé « Dynamiser l’épargne financière pour financer l’investissement et la compétitivité ». Les auteurs y proposaient de créer une nouvelle catégorie d’assurances-vie, proche des contrats euro-diversifiés, baptisée « euro-croissance ». Pour susciter l’intérêt, ils préconisaient aussi de maintenir l’antériorité fiscale en cas de transformation des contrats en euros en contrats euro-croissance. Ces contrats devraient être commercialisés dans les prochains mois, aussitôt après la publication des décrets d’application. Reste à savoir quel sera leur impact pour les assureurs.

Un fonctionnement radicalement différent

L’euro-croissance repose a priori sur des mécanismes maîtrisés par l’assurance-vie. Ainsi, la garantie du capital à tout moment dans les fonds euros traditionnels et du nombre de parts pour les unités de compte se décomposerait dorénavant en une provision mathématique (PM) conduisant à une garantie au terme, à laquelle s’ajouteraient des parts de provision technique de diversification (PTD), conçues pour dynamiser la performance de l’investissement. La tentation est donc grande de faire de l’euro-croissance un investissement intermédiaire entre fonds euro et unités de compte (UC), tant les similitudes s’égrènent avec un multisupports. Pourtant, l’euro-croissance propose une offre radicalement différente d’un point de vue technique. En effet, les fonds euros introduisaient une interaction entre les différentes cohortes d’assurés via les stratégies de provision pour participation aux excédents (PPE) et de dégagement de plus ou moins-values latentes. La PPE permet une mutualisation intertemporelle lissant le rendement servi et permettant la garantie du capital. Avec les UC, cette interaction entre les assurés a disparu, laissant chacun face à son « market timing ». Cet équilibre, clé de voûte du schéma commercial standard des contrats d’épargne, est fondamentalement revisité par l’euro-croissance.

De fait, celui-ci réintroduit une interaction entre les assurés, mais exacerbée par l’effet de levier que génère la PTD : contrairement à une UC, sa valorisation ne repose pas sur la valorisation directe des sous-jacents, mais sur un différentiel entre PM et valeur du marché du fonds. Le market timing y sera donc un jeu d’interactions subtiles dépendant autant des équilibres de passif des assurés que de l’état du marché. Ainsi, une cohorte entrant dans le fonds au moment où les parts de PTD sont très faibles bénéficiera d’une forte proportion de la PTD et de ses hausses futures. À l’inverse des mécanismes stabilisateurs des contrats euros, cette interaction peut donc conduire à dilater les écarts de performance entre ceux – anciens – qui se trouveraient dans une « trappe à rendement » et ceux – nouveaux – qui bénéficieraient d’un effet de levier en captant le rebond de l’ensemble de la communauté.[traitement;requete;objet=article#ID=793#TITLE=Repères]

Positif côté assureurs, mais complexe

Selon Marcel Kahn, ex-président de la Roam (Réunion des organismes d’assurance mutuelle) « L’euro-croissance va surtout amener les actuaires à mettre en place de nouvelles méthodes de calcul des engagements, ce produit étant novateur sur la partie calcul de la provision mathématique, qui n’est ni du fonds euros ni de l’unité de compte mais qui résulte d’une formule d’actualisation sur la base d’une échéance fixée ». Il explique qu’il s’agit d’une nouvelle gestion de la participation aux bénéfices, dont l’affectation sort du cadre classique du fonds euros et peut être panachée entre provision de diversification et provision mathématique selon les cas, ainsi que des solutions informatiques réactives. Il considère que l’euro-croissance va donc aussi changer la donne en termes d’investissements, d’autant que « le niveau bas des taux actuels n’autorise que peu de latitude sur la part des actifs plus risqués, moteurs de la performance future espérée ».

Un contrat pour le long terme ?

« C’est un produit exigeant, qui suppose une gestion actif-passif très rapprochée. Je concède qu’il ne sera pas forcément facile à vendre », commente Valéry Jost, directeur technique et marketing au sein de l’Agipi (Association d’assurés pour la retraite, l’épargne, la prévoyance et la santé). Il précise que ce n’est qu’à terme, quand le client rachètera son contrat, qu’il paiera des impôts. « Pour compenser ce manque à gagner pendant la durée de l’immobilisation, les pouvoirs publics ont souhaité mettre en place une taxe », ajoute-t-il. Une taxe de 0,35 % du montant transféré, que les assureurs devraient prendre en charge car cela leur économise des fonds propres. « En allégeant les contraintes de passif, soit l’abandon de la garantie à tout moment, ces contrats laissent aux assureurs plus de liberté dans l’allocation et la gestion d’actifs », confirme de son côté Jean-Pierre Diaz, actuaire qualifié IA, responsable des produits d’épargne et de prévoyance France chez BNP Paribas Cardif. Il estime que, bien que la durée minimale d’immobilisation des liquidités soit de huit ans, cela n’a guère de sens d’aller en deçà de quinze ou vingt ans. « C’est un contrat pensé pour le long terme. Il faudra être en mesure d’expliquer au client cette mécanique particulière. La qualité de l’information et du conseil sera plus que jamais essentielle », ajoute-t-il. Il reconnaît que la mise en place de l’euro-croissance peut supposer des ajustements assez lourds des systèmes d’information : « Les préoccupations relatives à Solvabilité II et à l’ALM doivent être prégnantes dès l’origine de la création des produits. Les besoins en fonds propres et les allocations d’actifs ne seront pas les mêmes que pour des produits d’assurance-vie classiques ». Car au-delà de l’intérêt novateur amené par ce produit, il ne faut pas négliger les risques opérationnels dont le principal est les écarts Acav (assurance à capital variable) : la mécanique même du contrat peut générer des écarts entre actif et passif beaucoup plus importants que les contrats multisupports en raison de la valorisation des actifs en face de PM en valeur de marché. En effet le cumul des délais de gestion, des passages d’ordres à l’actif, de la fréquence de valorisation de ces derniers et la volatilité des provisions augmentent fortement le risque de perte pour l’assureur. L’exigence de rigueur dans les process est ainsi extrêmement forte. »[traitement;requete;objet=article#ID=795#TITLE=Épargne : une palette d’outils élargie]

Pour Marcel Kahn, ce produit participe à la démarche de repenser les contrats historiques (comme les produits en euros) dans une logique Solvabilité II, dans la mesure où il permet une consommation moindre en capital : « Le produit euro-croissance est plus flexible qu’un produit en euros, même si les actifs couvrant les engagements des euro-croissance devraient être plus risqués pour améliorer la performance des fonds. » Il anticipe aussi une diminution du besoin de capital sur le stock, si on assiste à un transfert des contrats en euros vers l’euro-croissance.[traitement;requete;objet=article#ID=797#TITLE=L’euro-croissance va-t-il évincer les autres dispositifs ? ]

Des garanties toujours élevées

Pour sa part, Tristan Palerm du cabinet Optimind Winter estime que l’euro-croissance va permettre de réduire d’une part le niveau d’engagement de l’assureur sur la garantie de capital et limite d’autre part les possibilités de sortie avant que la garantie puisse s’appliquer. « Par rapport aux contrats d’épargne classiques, le premier point est important car les provisions Best Estimate réagiront mieux aux différents chocs du calcul de SCR. Le second point limitera la charge de capital liée aux rachats. Néanmoins les premières études dont nous disposons montrent que l’exigence de capital ne devrait pas baisser drastiquement par rapport à l’euro. Cette dernière dépendra fortement de l’allocation d’actifs. L’enjeu viendra dans le trade-off entre sur-rendement et exigence de capital. De façon générale et outre les aspects liés aux exigences de capital, les dispositifs comme l’euro-croissance montrent bien une volonté des assureurs de proposer des garanties mieux maîtrisées sur le plan des risques. En revanche, il faudra justement que les actuaires et les risk managers soient vigilants sur l’évolution du portefeuille. Pour le moment, les acteurs du secteur se préparent surtout à s’adapter à ce nouveau paradigme et à l’allocation d’actifs. En effet, si l’on souhaite minimiser les risques et l’exigence de capital, il faut  une couverture parfaite des PM, ce qui se fait au détriment du rendement. Par ailleurs le sur-rendement s’obtiendra sans doute par une part importante d’investissement dans des actifs moins liquides et donc plus risqués

[traitement;requete;objet=article#ID=799#TITLE=Interview de Daniel Haguet, professeur à l’EDHEC]