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23 septembre 2013

Faut-il céder aux charmes des fonds de pension ?

Enquête de l'actuariel

Comment trouver 7 milliards d’euros pour sauver le système français des retraites ? Alors que d’importants arbitrages gouvernementaux sont en cours, la question d’introduire ou non des fonds de pension dans un système régi par le principe de la répartition se pose avec acuité.

Les fonds de pension sont, en France, les grands absents de la réforme des retraites à venir. Pourtant, à chaque remise en cause du système, la question se pose : dans un modèle par répartition, confronté à l’allongement de la durée de vie et à la montée du chômage, faut-il faire une plus grande place à la capitalisation ? Et l’interrogation vise en premier lieu les fonds de pension, qui en sont l’outil principal, surtout dans les pays anglo-saxons. Ces entités financières sont « chargées de collecter et de capitaliser des cotisations des salariés ou des employeurs afin d’en verser le produit à leurs affiliés sous forme de rente ou de capital lorsqu’ils arrêtent leur activité », explique Anne Lavigne dans son ouvrage paru en 2013 : Économie des retraites. Initiative individuelle ou collective, ces fonds peuvent être à « prestations définies » – l’employeur s’engage sur un niveau de prestations – ou à « cotisations définies » – l’engagement porte sur le montant des contributions versées.

Actions, obligations, immobilier... les fonds de pension investissent dans tous les marchés. Ils en sont des acteurs incontournables, prenant des parts grandissantes dans les sociétés et gérant des sommes colossales. À l’image de Calpers, le premier fonds américain, qui gère 255 milliards de dollars ou du néerlandais PGGM, et ses 140 milliards d’euros d’actifs. Les chiffres donnent le tournis. Ainsi, la valeur totale des actifs gérés dans le monde (dont 57 % par les États-Unis) a été évaluée par le cabinet Towers Watson à près de 30 000 milliards à la fin 2012, soit plus du double par rapport à 2002. Rapporté au PIB de chaque pays, les actifs pèsent pour 156 % aux Pays-Bas, 118 % en Chine, 112 % au Royaume-Uni et 108 % outre-Atlantique.

Un ancrage encore réduit en France

Mais ce modèle très apprécié des Anglo-Saxons est-il la solution pour pallier les 20 milliards de déficit du système français attendu en 2020 ? Difficile d’être catégorique car la situation est loin d’être tranchée. L’Hexagone n’a pas fermé la porte aux fonds de pensions. Ainsi, la Préfon permet à 370 000 fonctionnaires de bénéficier d’une épargne retraite facultative, tandis que divers produits financiers proches des fonds (Perco, Perp, etc.) ont été instaurés par la réforme de 2003. Mais leur succès est restreint. « En 2012, les cotisations étaient de 11,3 milliards d’euros (11,2 milliards en 2011) pour des encours de 151,4 milliards », indique le délégué général de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), Jean-François Lequoy. Plusieurs facteurs ont freiné leur développement. Solidarité intergénérationnelle et générosité des régimes de base en font partie. « La réglementation en matière d’exonération sociale et fiscale des cotisations est très restrictive et incite peu à la recherche de nouvelles solutions, complète Pierre-Alain Boscher, directeur métier en Protection Sociale, Optimind Winter. Les entreprises sont contraintes d’opter pour les solutions existantes, principalement orientées vers des leviers fiscaux, et donc issues de la réglementation. »

Pour autant, l’actuaire est persuadé qu’un système à la française est possible. « La chute des taux de remplacement (le pourcentage du salaire versé à la retraite, ndlr), surtout pour les hauts revenus, incite à envisager d’autres dispositifs générant de nouveaux revenus de remplacement. Ce système pourrait reposer sur les bases existantes des régimes en points, adossés à des fonds regroupant plus largement des entreprises diversifiées, ou appartenant à un même secteur d’activité. » Pour y parvenir, il s’agit, selon Jean-François Lequoy, d’aller vers plus de « stabilité fiscale » et d’autoriser les entreprises à verser des cotisations fluctuantes. Une position que ne partage pas le directeur du département économie de la mondialisation à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Henri Sterdyniak : « Les fonds de pension aggraveront les problèmes des retraites par répartition, car les générations devront cotiser deux fois : pour la répartition, c’est-à-dire pour leurs parents, et pour la capitalisation, donc pour leur propre retraite. Avec les conséquences suivantes : hausse des charges sur les entreprises, baisse de la consommation des ménages, hausse des subventions publiques et baisse des retraites promises. » C’est, en filigrane, la problématique de la justice sociale qui est abordée, les détracteurs des fonds critiquant un accroissement des inégalités et leurs partisans affirmant qu’ils sont plus équitables que le système par répartition.

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Vers des fonds de pension moins vulnérables ?

Autre question cristallisant les débats, celle de l’instabilité et des risques inhérents à un système faisant dépendre les revenus des performances des marchés. Car les fonds se sont montrés particulièrement vulnérables en temps de crise. Entre janvier 2008 et juin 2009, ils ont perdu 3 900 milliards de dollars en raison de la chute brutale des marchés actions, associée au faible niveau des taux d’intérêts, qui accroît le montant des engagements. En parallèle, les rendements ont chuté et enregistré des performances négatives : - 1,7 % en moyenne en 2011 dans l’OCDE, selon les derniers chiffres disponibles. Résultat, les bilans ont viré au rouge. Rien qu’aux États-Unis, le déficit des plus grands fonds a dépassé le seuil record des 20 milliards de dollars en 2012 (source Russell Investments). Les entreprises ont alors vu leurs cotisations augmenter et les salariés leur capital diminuer. À cette situation vient s’ajouter une surexposition aux classes d’actifs les plus volatiles et des investissements dans des produits risqués, dont les CDO (Collateralized Debt Obligation) qui ont joué un rôle prépondérant dans la crise.

Toutefois, pour Sandrine Gorreri, membre de la Fondation iFRAP (think tank spécialisé dans les politiques publiques), la répartition n’est pas forcément une meilleure option en temps de crise. Ce système « souffre lui aussi car les entreprises sont au cœur du système de redistribution qui repose sur les salaires ». Il faut dire aussi que côté fonds de pension, la donne a changé. « Une hausse des taux d’actualisation (servant à évaluer les engagements, ndlr) de 0,5 % a été constatée au cours des six derniers mois », écrivait en mars Bob Collie, stratégiste chez Russell Investments. Or, l’intérêt d’une reprise des taux est qu’elle permet de faire baisser le montant des engagements et donc contribue à réduire le déficit des fonds… Avec la crise, les fonds ont par ailleurs revu leur allocation d’actifs, réduisant la voilure sur les actions, les pays à risque, les fonds spéculatifs et le capital-investissement pour privilégier l’immobilier, les infrastructures et les obligations d’entreprises. Ainsi, selon Towers Watson, la part des actifs alternatifs au sein des principaux fonds est passée de 6 % en 1999 à 19 % en 2012.

Un choix politique soutenu par la Commission européenne

Depuis plusieurs années, le débat porte aussi sur le rôle des fonds dans le financement et dans la croissance de l’économie. « En France, nous encourageons l’épargne individuelle, mais elle est centralisée au niveau de la Caisse des dépôts et consignations. Le seul investisseur stratégique est donc l’État, explique Sandrine Gorreri. Avoir plusieurs acteurs pour diversifier le mode de financement de l’économie créerait une saine émulation. » En face, Anne Lavigne indique que « la capitalisation n’accroît pas l’épargne nationale per se » puisque l’épargne susceptible d’être dégagée par les fonds « dépend du poids relatif des cotisants par rapport aux retraités, ainsi que des supports d’épargne alternatifs ». Pour Henri Sterdyniak, « relancer la retraite par la capitalisation n’aurait de sens que si l’on manquait d’épargne et que si la France se dotait d’une grande stratégie de relance par l’investissement productif. Ce qui n’est pas le cas ».

La question de l’introduction officielle des fonds de pension en France est donc loin d’être tranchée. Accroître la régulation, revoir les modes de gouvernance et les mécanismes de contrôle de risques pourraient pour certains « discipliner » les fonds de pension. Mais les divergences de points de vue ne seront que difficilement apaisées. Les choses pourraient néanmoins changer, puisque la Commission européenne souhaite que les fonds constituent à l’avenir l’un des principaux piliers des systèmes de retraite dans l’Union.

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