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13 septembre 2019

Retraites : le prix de la transformation

| UP - ACTUARIAT

Depuis une dizaine d’années, en Europe, les réformes des systèmes de retraite se succèdent avec un défi commun : s’adapter à des changements démographiques sans précédent, et faire perdurer le principe de protection sociale. Regards croisés de spécialistes en Pologne, en Italie et au Royaume-Uni.


Réformer le système de retraite est un défi politique, social et économique pour les États. Et un casse-tête inévitable compte tenu du vieillissement de la population. D’ici à 2050, une personne sur quatre vivant en Europe et en Amérique du Nord pourrait avoir 65 ans ou plus selon le rapport World Population Prospects 2019 de l’Organisation des Nations unies.

Pour assurer la viabilité financière et la pérennité de leur système, plusieurs pays ont déjà entrepris des réformes. Giampaolo Crenca, actuaire italien, Simon Brimblecombe, actuaire britannique, et Krzysztof Hagemejer, économiste polonais, témoignent de la difficulté de transformation de leurs pays respectifs.

Le poids des années

L’Office for National Statistics (ONS) prévoit que plus de 24 % des Britanniques auront 65 ans ou plus d’ici à 2042, soit une hausse de 18 % par rapport à 2016. Les dépenses liées à la retraite d’État s’élevaient à près de 92 milliards de livres sterling en 2017 (soit 5,1 % du PIB), contre 26 milliards de livres sterling en 1992 (3,6 % du PIB). Sur la base des projections démographiques actuelles, l’Office for Budget Responsability, l’organisme chargé d’analyser les finances publiques, estime qu’elles atteindront 6,1 % du PIB d’ici à 2042. Le problème n’est pas nouveau. Dès 1995, les législateurs prévoyaient de relever progressivement l’âge de la retraite pour les femmes de 60 à 65 ans à l’horizon 2020 pour l’aligner sur celui des hommes. Le calendrier s’étant accéléré, l’objectif a été atteint dès 2018. En 2014, le Pension Act instaurait, comme facteur essentiel de l’élaboration du système des retraites, le calcul actuariel de l’espérance de vie. Une révision régulière de l’âge de la retraite a ainsi été inscrite dans la loi et a imposé un nouvel agenda aux futurs retraités : 67 ans pour percevoir sa retraite d’état entre 2026 et 2028, et 68 ans pour la percevoir entre 2044 et 2046. En juillet 2017, David Gauke, le secrétaire d’État au Travail et aux Pensions, annonçait que le gouvernement souhaitait avancer ce délai pour l’appliquer en 2037-2039. Le but ? Économiser 74 milliards de livres d’ici à 2045. Autre ambition : stabiliser le temps passé à la retraite à 32 % de la durée de vie adulte moyenne. En 2019, le gouvernement actuel n’a pas confirmé son intention de reprendre à son compte cette mesure. Pour obtenir une retraite à taux plein, les Britanniques doivent aujourd’hui comptabiliser trente-cinq années de cotisations et avoir atteint l’âge de départ qui leur a été attribué par le Pension Act.

En Italie, l’allongement de la durée de la vie est également une préoccupation essentielle. L’espérance de vie résiduelle à 65 ans est de 19,3 ans pour les hommes (+ 0,3) et de 22,4 ans pour les femmes (+ 0,2) en 2019, selon l’Institut national des statistiques italien (Istat). Les plus de 65 ans représentent aujourd’hui 22,8 % de la population totale. « Le vieillissement rapide de la population est l’un des défis du système italien. Nous devons faire face au problème aujourd’hui pour penser le futur », souligne Giampaolo Crenca, actuaire italien. Une situation préoccupante, puisque l’âge moyen actuel de la population italienne est de 45,4 ans. D’ici vingt-cinq ans, le système devra donc faire face à une explosion du nombre de retraités. Autre motif d’inquiétude : le déclin démographique de la population italienne. Dans ces conditions, comment alimenter le marché du travail et soutenir la croissance économique ? « En Italie, les immigrés sont une main-d’œuvre dont nous ne pouvons pas nous passer, sous peine de faire face à d’importantes difficultés », déclare Giampaolo Crenca. Une affirmation à rebours des discours portés par Matteo Salvini, chef de file de la Ligue et membre influent du jeu politique italien.

Maîtriser le vieillissement démographique est également un enjeu technique pour les actuaires. « Dans un régime à comptes notionnels, comme c’est le cas en Italie, vous appliquez, à l’âge de la retraite, un coefficient de transformation au capital accumulé. Ce nombre actuariel dépend en partie de l’espérance de vie de la génération de l’assuré. C’est un problème car l’espérance de vie des hommes et des femmes augmente d’année en année, il est donc nécessaire d’actualiser le coefficient. Or son augmentation entraîne une diminution de la pension. Les répercussions de la hausse de l’espérance de vie sur le système sont une question que les actuaires italiens étudient très attentivement. Si une personne de 65 ans vit jusqu’à 90 ans, cela signifie que l’État paie une retraite durant vingt-cinq ans. C’est un coût non négligeable », juge Giampaolo Crenca.

La politique du retour en arrière

Limiter les coûts du système, une mission accomplie par la réforme Fornero. En 2011, subissant de plein fouet la crise de la dette, l’Italie est sommée par la Banque centrale européenne de réformer son système de retraite. Élaborée en vingt jours par la ministre du Travail, Elsa Fornero, la réforme qui porte son nom a porté à 66 ans l’âge de la retraite pour les hommes et les femmes avec une contribution minimale de vingt ans. Elle a également limité le recours à une retraite anticipée. « L’objectif était d’obtenir des liquidités en réduisant drastiquement le traitement des pensions. Elle a été positive pour les comptes publics, mais pas pour la population. Des personnes qui n’étaient qu’à trois ou cinq mois de la retraite ont alors appris qu’ils devraient travailler cinq ou six ans de plus. L’effet psychologique a été désastreux. Cela a créé beaucoup de confusion et des conflits », raconte Giampaolo Crenca. à la suite de la réforme Fornero, les employés concernés par des dispositifs de restructuration d’entreprise ou ayant souscrit des accords de préretraite se sont retrouvés sans travail et sans retraite. Ces esodati ou « travailleurs en exode » ont pu bénéficier de mesures de sauvegarde mises en place par l’État après avoir médiatisé leur situation. La réforme Fornero est loin de faire l’unanimité en Italie et nombreux sont ceux qui lui reprochent sa rigidité. « Elle a été l’une des plus dures d’Europe. Il fallait réformer, mais peut-être pas de manière aussi brutale. Il y a deux ans, la profession actuarielle a fait certaines recommandations au gouvernement pour introduire de la flexibilité afin de déterminer l’âge de la retraite », rappelle Giampaolo Crenca.

Faire évoluer la réforme Fornero devient le cheval de bataille de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles lorsqu’ils accèdent au pouvoir en 2018. Leur solution : la Quota 100. Cette réforme expérimentale, qui doit prendre fin en 2021, propose à certains Italiens de bénéficier d’un départ à la retraite anticipé. Entrée en vigueur en avril, son nom correspond à la somme de l’âge de la retraite du travailleur et de ses années de contribution, qui doit ainsi égaler 100. Elle offre la possibilité aux personnes de 62 ans justifiant de trente-huit années de cotisation de partir à la retraite, alors que l’âge légal est fixé à 67 ans. Pour en bénéficier, les futurs retraités devront satisfaire aux deux critères. « Lorsque la profession actuarielle a conseillé au gouvernement d’introduire plus de flexibilité, notre première recommandation portait sur l’importance de trouver des ressources internes au système de retraite pour la financer. La flexibilité a un coût et, si le système ne peut le supporter, il est évident que cela reposera sur la population. Or cette question du financement n’a pas été évoquée lors de l’élaboration de la Quota 100. C’est un problème que le nouveau gouvernement doit résoudre pour éviter d’autres difficultés », analyse Giampaolo Crenca. Le Premier ministre Giuseppe Conte, reconduit à son poste en septembre, a déjà annoncé qu’il entendait remanier la Quota 100. En Pologne, le recul de l’âge des retraites est aussi un sujet politiquement sensible. « Le régime polonais repose sur un système de comptes notionnels. L’une des raisons qui ont poussé le gouvernement à passer d’un régime par répartition à prestations définies à un régime de contributions définies est qu’il n’avait pas besoin d’augmenter l’âge de la retraite », estime l’économiste Krzysztof Hagemejer. Si les dirigeants et la population polonaise ont si bien accueilli le système à comptes notionnels, c’est en partie dû à leur histoire. « Personne n’était opposé à ce système en 1999. Après le communisme, l’idée de l’individualisation était séduisante. L’accent n’a pas été mis sur les conséquences du passage d’un système de prestations définies à un système de cotisations définies, notamment pour les gens aux bas revenus et aux carrières courtes », note Krzysztof Hagemejer. En 2011, sous la pression de la Commission européenne, le gouvernement de Donald Tusk a pourtant décidé d’augmenter l’âge de la retraite. En Pologne, il était alors de 60 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes. Il a été décidé d’égaliser l’âge de la retraite des hommes et des femmes pour le porter à 67 ans. Le processus devait aboutir en 2014. « Les syndicats étaient extrêmement opposés à cette réforme. Cela a précipité la chute du gouvernement. En 2015, le parti d’opposition a fait campagne en promettant d’annuler cette évolution. Il a remporté les élections présidentielles et législatives puis a rétabli l’âge de la retraite à 60 et 65 ans », analyse Krzysztof Hagemejer.

Viabilité financière ou sociale ?

Cette décision politique n’a cependant pas entamé la viabilité du système. « Le régime à comptes notionnels est un brillant instrument. Bien sûr, le renversement de l’âge de la retraite a des conséquences financières à court terme, nous avons aujourd’hui plus de retraités qu’auparavant. à long terme, cela n’a pas de conséquences car partir plus tôt à la retraite coïncide avec une pension plus faible. Si les contributions sont constantes, le coût est plus ou moins le même. Le régime à comptes notionnels a un grand atout, il apporte un équilibre financier sur le long terme, d’une manière quasi automatique », explique Krzysztof Hagemejer. Pourtant, si les comptes notionnels ont séduit plusieurs pays européens, ils n’ont pas que des avantages. « Le problème du système polonais n’est pas la viabilité financière, mais la viabilité sociale. Il ne permet pas de prévenir la pauvreté ni d’assurer un niveau de vie décent aux personnes âgées. à mon avis, le système à cotisations définies est une option recommandable seulement si les retraites des citoyens sont des pensions universelles et qu’il existe une pension minimale garantie. En Pologne, nous avons une pension minimale mais elle ne s’applique qu’aux personnes ayant cotisé vingt-cinq ans, ce n’est pas suffisant », décrit l’économiste.

Pour un système de retraite, la confiance des assurés est un élément primordial. Comment l’instaurer alors que les jeunes générations font face à de sombres perspectives d’emploi ? « La viabilité est importante. Mais le système de retraite est aussi un contrat social. Selon moi, l’essentiel est de garantir l’équité entre les générations », affirme Simon Brimblecombe, membre de l’Institut des actuaires britannique. La Quota 100 a ainsi été décriée en Italie par Tito Boeri, le président de l’Institut national de la sécurité sociale et des retraites (INPS), en raison de son coût pour les jeunes générations. Lors d’une audition parlementaire en octobre dernier, il a estimé que cette mesure augmenterait d’environ 100 milliards d’euros la dette des retraites pour les jeunes générations et augmenterait les dépenses de retraite d’un point de pourcentage du produit intérieur brut dès 2021. « Nous avons partiellement résolu la question de la stabilité du système, mais pas celle de l’adéquation des pensions. Il y a une grande inquiétude concernant les jeunes. Ils vont sans doute devoir travailler entre quarante et quarante-cinq ans. Or la crise ne leur permet pas d’être employé de manière constante. A l’avenir, le risque est donc que le montant de leur retraite ne soit pas suffisant pour vivre. Un bon système de retraite est basé sur de la stabilité et de l’adéquation », soutient Giampaolo Crenca. Le problème n’est cependant pas sans solution. « Pour contrer cette situation, nous devons renforcer le deuxième pilier de notre système : les retraites complémentaires, qui fonctionnent sur un système de contributions définies. Malheureusement, vingt-six ans après leur introduction, seules 30 % de la totalité des personnes qui pourraient y être inscrites le sont », évalue Giampaolo Crenca.

L’enjeu des retraites complémentaires

Pour endiguer la baisse de l’adhésion aux retraites complémentaires professionnelles (12,2 millions d’adhérents en 1967 contre 7,8 millions en 2012), le Royaume-Uni a commencé à exiger, dès 2012, que les employeurs inscrivent automatiquement les salariés éligibles dans un régime de retraite professionnelle. De nombreuses entreprises mettent aujourd’hui un terme aux régimes à prestations définies par le salaire, en faveur des régimes à cotisations définies, qui sont moins coûteux pour l’employeur, mais moins avantageux pour le travailleur. « Si une entreprise n’a pas de fonds de pension privé, elle peut cotiser au fonds de pension d’état, le National Employment Savings Trust (Nest). Je ne suis pas très optimiste pour l’avenir. Le système va devoir gérer des personnes de 65 ans qui n’ont pas les fonds nécessaires pour avoir une bonne retraite », estime Simon Brimblecombe. De plus, les systèmes de retraite doivent composer avec des évolutions comme l’uberisation. « Le salariat, avec une entreprise qui paie les cotisations de ses employés, était le modèle dominant. Aujourd’hui, plusieurs carrières sont possibles dans une vie. Or les retraites complémentaires payées par l’employeur sont un moyen pour le gouvernement de transférer la charge des retraites et de s’assurer que personne ne se retrouve sans retraite », détaille Simon Brimblecombe.

Des évolutions qui redéfinissent également le rôle de l’actuaire. « Dans les années 1980, il faisait des calculs, des rapports. Aujourd’hui, son travail est plus stratégique. Il doit se demander, par exemple, comment construire une retraite complémentaire qui permette à une entreprise d’attirer les talents et de retenir les employés qu’elle souhaite conserver », imagine Simon Brimblecombe. Un nouveau rôle qui n’efface pourtant pas sa mission d’intérêt général. Depuis 2015, les personnes dépendant d’un régime à cotisations définies sont autorisées à retirer l’argent épargné de leur plan de retraite dès l’âge de 55 ans. « Les actuaires se sont mobilisés pour alerter le gouvernement sur la dangerosité de cette mesure pour la population. Gérer le montant de sa pension avec les taux négatifs sans prendre de risques est très compliqué. Il est très important de communiquer, d’ajouter nos voix au débat pour influencer les changements des régimes de retraite », signale Simon Brimblecombe.

Le reflet des inégalités

En rétablissant une différence d’âge de départ à la retraite, le système polonais a pénalisé les femmes. « Égaliser l’âge du passage à la retraite des hommes et des femmes a provoqué un grand débat dans le pays. Statistiquement, les femmes souffrent déjà d’avoir une pension inférieure aux hommes et elles se voient imposer des carrières courtes », constate Krzysztof Hagemejer.

Mais la Pologne n’est pas le seul pays à reproduire les inégalités du marché de l’emploi. « Les crèches sont très chères au Royaume-Uni et il n’est pas rare qu’une femme quitte son travail pour s’occuper de ses enfants. Se faire embaucher après une interruption de carrière peut être difficile. Cela se répercutera sur ses droits à la retraite. D’autant plus qu’en moyenne, en Europe, la différence de retraite entre hommes et femmes est deux fois plus élevée que la différence de salaire entre hommes et femmes. C’est notamment un problème dans un système de primautés de cotisations, car les femmes ont une espérance de vie supérieure. Ces éléments doivent être pris en compte dans les réformes des systèmes de retraite. Cela passe également par des mesures légales pour corriger le marché de l’emploi », considère Simon Brimblecombe.

Autre interrogation : ce même marché est-il prêt à accueillir ces travailleurs plus âgés ? Si le nombre de personnes de plus de 65 ans a progressé au Royaume-Uni de 2,7 millions depuis 1998, seuls 800 000 travailleurs supplémentaires âgés de plus de 65 ans ont été comptabilisés par l’Office for National Statistics. « En Pologne, les personnes de plus de 60 ans sont discriminées, les employeurs ne veulent pas les embaucher », constate Krzysztof Hagemejer. D’autant que, en raison de la pénibilité de leur emploi, certains ne sont plus en capacité de travailler pour des raisons physiques ou psychiques. « La prise en compte de la pénibilité dans les systèmes de retraite est indispensable. Mais il faut également mettre en place des mesures de prévention comme la possibilité d’effectuer des transitions professionnelles », appuie Simon Brimblecombe. Avec un nombre de personnes âgées de 80 ans ou plus dans le monde qui devrait tripler, passant de 143 millions en 2019 à 426 millions en 2050, les États doivent aussi s’attaquer à la réforme de leur système de santé pour ne pas se faire submerger par la vague grise.

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