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21 décembre 2017

Interview de Denis Kessler, actuaire agrégé IA, PDG de Scor

Interview

« Seule la réassurance permet une mutualisation mondiale des risques climatiques »

l’actuariel : Quelles seraient les conditions des partenariats public-privé que vous préconisez en France pour faire face à la hausse des catastrophes naturelles ?

Denis Kessler : Les partenariats doivent porter sur la connaissance du risque, la mise à disposition et l’exploitation des données ainsi que les modalités optimales de couverture de ces risques. Il faut développer l’expertise sur les événements naturels et, surtout, en assurer un meilleur partage entre toutes les parties impliquées : les scientifiques, qui ont des connaissances approfondies de ces risques ; les assureurs et les réassureurs, qui ont beaucoup investi pour avoir des données fiables à leur sujet ; les États, qui sont directement concernés et ont développé un savoir en la matière ; et les « modélisateurs », entreprises qui recueillent et traitent des données pertinentes par type de risque et par région du monde.

Déterminer le juste coût du risque – de façon à donner à chaque acteur les bonnes incitations et à éviter qu’il ne reporte sur le reste de la société le coût de son imprévoyance – requiert un partenariat public-privé fort et équilibré, qui s’appuie sur le marché et en renforce la discipline, plutôt qu’il ne s’oppose à lui. En France, l’État a de facto un quasi-monopole sur les risques d’inondation et de tremblement de terre, et se prive des capacités dont dispose le secteur privé. Et de facto également, le prix de la couverture contre ces risques ne tient pas compte de l’exposition des acteurs, ce qui limite les activités de prévention et entraîne des redistributions massives. Une meilleure articulation entre secteur public et secteur privé réduirait le coût total que les Français acquittent pour la protection contre ces risques.

l’actuariel : Quelles seraient les premières mesures à prendre pour une vraie mutualisation mondiale des risques ?

D.K. : Seule la réassurance permet une mutualisation mondiale des risques climatiques et, plus largement, des risques naturels. Cette mutualisation reste à ce jour incomplète et imparfaite, comme en témoigne l’important déficit de couverture contre ces risques à l’échelle mondiale.

Lutter contre ce protection gap nécessite d’enrichir et d’améliorer la modélisation du risque climatique et des événements extrêmes, notamment – mais pas uniquement – dans les pays émergents. La cartographie mondiale des risques naturels – leur mapping – est très incomplète, il reste encore beaucoup de terra incognita. Le développement de la mutualisation globale des risques climatiques requiert par ailleurs des marchés libres et ouverts, qui créent les conditions optimales à l’activité de réassurance. Il importe donc que les frictions qui accroissent les coûts réglementaires et la complexité des opérations de réassurance entre les différents pays soient levées là où elles demeurent encore. À cet égard, la reconnaissance entre les différents régimes prudentiels, voire leur harmonisation, faciliterait grandement cette mutualisation.

Enfin, celle-ci pourrait être promue par une meilleure transparence sur le plan comptable de l’exposition effective des entreprises aux risques de manière générale. Aujourd’hui, une grande opacité règne en la matière, ce qui n’incite pas à l’achat de couvertures.

l’actuariel : Le réchauffement climatique peut-il mettre à mal la politique de diversification géographique des risques ?

D.K. : Bien au contraire ! L’augmentation du coût des catastrophes naturelles constitue un défi majeur pour les réassureurs, mais il ne peut être relevé que par une optimisation de la diversification. À problème global, solution globale : loin de mettre à mal la politique de diversification géographique, le réchauffement climatique et l’amplification des risques issus de la nature requièrent son approfondissement et son élargissement, et placent donc le modèle européen de réassurance dans une position compétitive avantageuse.

Par ailleurs il faut remarquer que, depuis une vingtaine d’années, des capacités nouvelles se sont ajoutées à celles offertes par les réassureurs, via les cat bonds et plus généralement l’ensemble du capital dit alternatif. Ce dernier représente aujourd’hui environ 14 % du capital mondial de la réassurance – contre 5 % en 2010 – et il est principalement alloué à la couverture des événements naturels. Les réassureurs émettent eux-mêmes des cat bonds comme moyen d’offrir plus de capacités à leurs clients.

Propos recueillis par Juliette Nouel

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